Accélérez l’innovation grâce aux communautés

Alors que de nombreuses entreprises ressentent le besoin d’accélérer leur innovation, nous nous interrogeons sur le rôle que peuvent jouer les communautés dans le processus d’innovation. Nous citons quatre entreprises qui tirent parti de leurs communautés, internes, externes ou mixtes pour générer et valider des idées nouvelles à la base de produits et services originaux, dans une démarche d’innovation collaborative.

1. L’innovation stagne dans l’entreprise

Enjeu important du développement de l’entreprise, l’innovation connait actuellement un bouleversement profond et irréversible. Il y a quelques années, les processus d’innovation étaient conduits dans les organisations selon des méthodes bien formalisées, assurant la création et le développement des idées nouvelles du laboratoire de R&D jusqu’à leur mise sur le marché. Ces méthodes coordonnaient les activités des groupes formels de l’entreprise (laboratoire, ingénierie, production, marketing, vente…) dans des équipes projets, en suivant des séquences standardisées séparées par des étapes de validation. Dans un mode de plus en plus agile, cette forme classique d’innovation ne suffit plus à alimenter l’organisation en connaissances et idées nécessaires à l’élaboration de solutions nouvelles et adaptées.

Des entreprises ont réalisé que l’innovation va tirer de plus en plus sa source principale des communautés d’innovation. Une communauté d’innovation est un groupe informel constitué, soit de membres internes aux entreprises, soit de membres externes (utilisateurs des produits et services de ces entreprises, groupes informels virtuels partageant un intérêt commun, etc.). Dans ces communautés, les idées créatives émergent, sont validées, testées, et mises en œuvre, via des interfaces avec les structures formelles de l’entreprise.

2. Les communautés d’innovation

La littérature académique a mis en évidence différents types de communautés : communautés de pratiques, d’utilisateurs, virtuelles, d’intérêt, épistémiques, …

Une communauté de pratique est constituée par un groupe de membres (généralement d’une même organisation) engagés dans la même pratique, l’exercice d’un métier par exemple, et communiquant régulièrement entre eux sur ce domaine de connaissance à travers des mécanismes qui peuvent être très divers : réseaux sociaux d’entreprise, rencontres en face-à-face, séminaires, webinaires, etc. La CoP permet à ses membres d’améliorer leurs compétences individuelles, à travers l’échange et le partage d’un répertoire commun de ressources qui se construisent en même temps que se développe la pratique de la communauté.

Les communautés d’utilisateurs de produits ou de services donnés sont des sources potentielles d’innovation très important. Autour de marques ou de produits, des communautés d’usagers développent des connaissances au-delà des frontières des organisations, telles les communautés de fan d’une technologie (Apple…), de joueurs de jeux vidéo (Ubisoft…), de praticiens avancés d’un sport (Salomon…). Ces connaissances sont injectées dans le processus d’innovation de l’entreprise.

Les communautés d’intérêt sont centrées sur des membres partageant un intérêt commun, comme certains groupes s’assemblant autour d’une cause, comme les familles de patients Alzheimer, ou les défenseurs d’un site écologique menacé. Elles peuvent aussi jouer un rôle dans l’innovation pour des regroupements industriels.

Les communautés épistémiques sont focalisées sur la production délibérée de connaissances nouvelles, comme les communautés scientifiques (théorie des cordes en astrophysique…) ou artistiques (les Surréalistes…).

Les communautés internes à l’entreprise sont reconnues depuis les années 1990. Il en existe de multiples exemples dans de grands groupes (Schneider Electric, Schlumberger, Engie, Xerox, IBM…). Un peu plus tard, des communautés mixtes qui relient l’entreprise avec des parties prenantes ont été étudiées, comme les communautés d’ingénieurs de Toyota étendues à ses fournisseurs. Puis des entreprises ont élargies le concept en organisant des concours d’idées multi entreprises (open innovation), comme Procter & Gamble. Enfin grâce à l’Internet, des communautés externes totalement autonomes sont apparues, en dehors de tout cadre organisationnel, telle la communauté virtuelle de passionnés qui développe le système d’exploitation Linux.

Dans la suite de cet article, tous ces groupes informels (communautés de pratique, épistémologique, virtuelles, etc.) seront simplement appelées « communautés d’innovation », car dans de nombreuses entreprises, elles servent à générer et à valider des idées nouvelles à la base de produits et services originaux.

3. Bénéfices des communautés

Le principal bénéfice que la communauté apporte à l’entreprise est d’ouvrir l’accès à une source d’idées innovantes. En effet poussés par leur passion, les membres de la communauté génèrent spontanément des idées en permanence. Ils ont aussi accès à la mémoire des expériences vécues et des idées émises par l’ensemble des membres.

Les communautés internes permettent de :

  • Repérer les bonnes pratiques et fluidifier l’échange de ces pratiques entre les membres ;
  • Lutter contre le manque de partage d’informations entre les services en réduisant les silos qui se créent naturellement entre des équipes isolées par les barrières organisationnelles.

Les communautés mixtes permettent de :

  • Élargir les points de vue en se connectant à des expertises extérieures non couvertes par les compétences existantes de l’entreprise ;
  • Générer des idées créatives grâce aux échanges entre personnes de la communauté venant d’univers différents.

Les communautés externes permettent de :

  • Enrichir les produits de l’entreprise. Les membres de la communauté peuvent apporter des idées inédites, via une plate-forme de crowdsourcing. Ils peuvent aussi créer des compléments aux produits de l’entreprise, qu’ils élaborent, testent et partagent avec la communauté ;
  • Accélérer la mise au point des produits. C’est le cas lorsque les membres de la communauté testent les versions préliminaires des produits et donnent leur feed-back à l’entreprise, contribuant ainsi au développement ;
  • Diffuser le buzz autour du produit grâce aux membres qui relaient leur enthousiasme sur les réseaux sociaux ;
  • Identifier des personnes talentueuses qui pourront ensuite être recrutées dans les équipes de l’entreprise.

4. Quelques exemples

Ubisoft a cultivé une relation forte avec de multiples communautés qui infusent une forte dose de créativité dans ses différents projets de création de jeux vidéo. Les communautés de métiers dans le jeu vidéo sont en relation avec les communautés créatives de la ville de Montréal, avec lesquelles ils échangent dans des lieux de création et lors de festivals et d’évènements qui animent la vie de la cité. Ubisoft tire aussi avantage des communautés d’utilisateurs de ses produits qui contribuent à leur mise au point. Ils sont aussi en contact avec des communautés de spécialistes externes, comme celle des historiens qui ont contribué à mettre au point la série Assassin’s Creed.

Salomon soutient la création et le développement de communautés comme celle des pratiquants de trail running. Grâce aux apports des lead-users de la communauté, Salomon bénéficie d’inspirations inattendues qui lui permettent d’enrichir ses produits et de garder un avantage sur les concurrents.

La communauté de pratique en innovation de SEB, qui regroupe 1 300 employés et 30 sous-communautés, s’articule autour d’un évènement annuel, le Forum innovation, ainsi qu’autour d’action d’animation menée dans chaque sous-communauté et orchestrée par la coordinatrice de la communauté de pratique.

Schneider Electric, prenant conscience de l’apport des communautés pour augmenter l’intelligence collective, a décidé en 2012 de promouvoir et d’accompagner la création de communautés de pratiques pilotées via le programme Communities@Work. Aujourd’hui, plus de 200 communautés regroupent 30 000 membres.

5. Les conditions de succès

L’entreprise doit soutenir la communauté. Elle doit pour cela comprendre la passion qui unie ses membres, sa raison d’être et ses pratiques, respecter ses valeurs explicites et implicites, et avoir un dialogue ouvert et transparent avec les membres de la communauté, en évitant la langue de bois.

Dans le cas des communautés internes, l’entreprise œuvre à apporter le soutien de la hiérarchie aux initiatives prises par la communauté, à faciliter la mesure de la valeur des productions de la communauté en se basant par exemple sur l’appréciation des membres de la communauté, à aider les communautés pilotées à se structurer en proposant des outils et des modes de fonctionnement communs, à créer un environnement sécurisant et bienveillant dans lequel les membres ne seront pas jugés ou critiqués pour leur contribution, et à reconnaître la participation aux communautés dans l’évaluation des employés.

Dans le cas des communautés externes, l’entreprise aide à identifier et reconnaître les rôles des contributeurs dans les activités de la communauté, à donner aux membres l’occasion d’être fier de leurs activités pour inspirer les autres membres à émettre de nouvelles idées et enfin à fixer des règles de confidentialité et les droits de propriété

Plus généralement, l’entreprise doit apporter des moyens, par exemple en dégageant du temps aux animateurs de communauté, en encourageant les animateurs à recueillir régulièrement le feed-back des membres pour identifier les besoins et insatisfactions de la communauté, et en mettant à dispositions des outils comme un réseau social d’entreprise. Elle peut aussi financer des évènements et des projets organisés par la communauté, en s’assurant que ce financement est désintéressé, sous peine d’être perçu comme une tentative de contrôle. Elle peut apporter des moyens matériels pour tester des prototypes rapides, via des fab-lab internes par exemple, ou pour ouvrir des espaces inspirants favorisant les échanges impromptus.

6. L’entreprise au service des communautés d’innovation

Les communautés sont une source très puissante d’innovation pour les entreprises. C’est de plus en plus une condition de résilience et de pérennité. Mais créer un lien entre la communauté et l’entreprise est un travail très subtil et contre-intuitif. L’entreprise doit comprendre ce qui motive la communauté : sa passion, sa mission et ses valeurs. Elle doit appliquer une attitude nouvelle, en donnant sans nécessairement attendre de retour immédiat. Elle doit apprendre à soutenir les initiatives qui l’intéressent sans toutefois pouvoir donner une direction à suivre à la communauté. C’est une attitude nouvelle qui assure la résilience et la pérennité des entreprises du XXIè siècle.

Louis-Pierre Guillaume

7. Pour aller plus loin

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Des articles :

  • Les communautés d’innovation, de la liberté créatrice à l’innovation organisée, Benoit Sarazin, Patrick Cohendet et Laurent Simon, Editions EMS, 2017
  • Conférence CoP-1 : Les communautés apprenantes dans les grandes organisations , SKEMA BS, 24 novembre 2016
  • Innover avec et par les communautés, Un nouveau défi pour les entreprises ! Karine Goglio-Primard, Patrick Cohendet, Bernard Cova et Laurent Simon. Revue française de gestion, 2020/2 N° 287
  • Des communautés d’experts internes comme facilitateur de l’innovation, Florence Charue-Duboc, Lise Gastaldi et Emmanuel Bertin, Revue française de gestion, 2020/2 N° 287
  • Playing across the Playground: Paradoxes of Knowledge Creation in the Videogame Firm, Patrick Cohendet et Laurent Simon, Journal of Organizational Behavior, 2007, Vol. 28, No. 5
  • Schneider Electric, Next-generation Communities of Practice. Louis-Pierre Guillaume, Coline Delmas and Lauren Trees, APQC 2017

Un guide pratique sur les communautés, coécrit par une quarantaine de praticiens et de chercheurs sous l’égide du KCO de Kedge BS, qui sortira à la fin de l’année 2021

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