Quel est le ROI de ma communauté ?
Louis-Pierre Guillaume, 15 mars 2019
1. Pourquoi le ROI est si difficile à mesurer
Éloïse anime la Communauté Qualité, forte d’une centaine de membres, éparpillés dans différents sites. La communauté bruisse d’échanges informels sur le réseau social de l’entreprise (RSE) et ses webinars attirent régulièrement une trentaine de participants. La communauté de pratique (CoP) a été créée il y a deux ans et son sponsor est le directeur de la qualité. Eloïse passe environ 20% de son temps à l’animation de sa communauté, mélange d’organisation de webinars et d’ateliers, de suivi des échanges sur le RSE et de communication.
Lors de son évaluation trimestrielle, son manager lui fait remarquer que 20% est un peu élevé et demande de lui démontrer la valeur de la CoP pour le business, qui justifie le temps passé. Éloïse lui fournit alors les statistiques d’activité de la communauté sur le RSE (nombre de messages, de commentaires, de participants, de lecteurs, etc.) et des chiffres sur les webinars (nombre de webinars, de participants, etc.). Les chiffres montrent une hausse depuis le début, avec un tassement les 6 derniers mois, car la CoP a atteint son rythme de croisière. Son manageur n’est pas convaincu par la valeur, le sponsor non plus. Ils estiment que comme la communauté fonctionne, elle a moins besoin d’Éloïse. Six mois après, les membres sont de moins en moins actifs et les statistiques se dégradent.
Coline mène le programme de gestion des connaissances de son entreprise. Elle supervise en particulier les animateurs des vingt communautés de pratique et organise des réunions trimestrielles pour leur faire partager leurs expériences. Elle compile et publie les statistiques d’activité de l’ensemble des communautés. Challengé sur son budget, son manager lui demande de lui démontrer la valeur du programme de communautés de pratique. Coline envoie alors un sondage aux animateurs de communauté, avec quelques questions sur la valeur de leur communauté. Son manageur n’est pas convaincu par le sondage, car selon elle, les réponses sont biaisées (les animateurs sont juges et parties) et il n’y a pas de preuves tangibles. Coline sent que sa position se fragilise.
2. Quelles leçons tirer de ces deux histoires.
- Les statistiques d’un outil ne préjugent pas de la valeur des communautés qui l’utilisent.
- Un directeur devient sponsor d’une communauté de pratique (CoP) s’il y voit un intérêts business.
- L’animateur de la communauté de pratique doit s’assurer de la réalisation des objectifs de la communauté et des bénéfices attendus.
- Le manager ne donnera du temps d’animation d’une CoP à un quelqu’un de son équipe que s’il perçoit la valeur de la communauté.
- Mesurer la valeur d’un programme de communauté nécessite d’interroger les membres des communautés.
3. Comment mesurer la valeur ? Trois niveaux de mesure
3.1. Adoption et participation
Toutes les plates-formes de RSE fournissent des statistiques sur les usages. Par exemple, le nombre de documents mis à disposition, lus et partagés ; le nombre de message, de réponses, de « like », de participants et de visites sur un groupe de discussion.
Cette mesure n’est pas un indicateur de valeur. En effet dans certaines communautés, les membres se contentent de poster des articles, comme ils le feraient sur leur profil LinkedIn, sans valeur ajoutée ni réflexion sur le contenu.
Ces statistiques sont cependant utiles lors de la phase de lancement, pour confirmer la montée en charge.
En conclusion, un groupe de discussion dans un réseau social d’entreprise avec encéphalogramme plat est un signal d’alarme, mais une activité régulière ne fournit pas d’information suffisante sur la valeur. Une autre mesure est nécessaire
3.2. Engagement & satisfaction
Les membres de la communauté sont les plus à même de connaitre la valeur tangible qu’elle apporte à leur business, leurs clients ou à eux-mêmes. Un sondage permet de connaître l’opinion des membres, la voix du client (VoC) en quelque sorte.
Dans une entreprise possédant plusieurs communautés, comme celle de Coline, il est utile de pouvoir comparer la valeur perçue d’une année sur l’autre et indispensable d’éviter de saturer les membres avec un sondage différent par communauté. Un tel sondage doit fournir des résultats anonymisés à chaque animateur de communauté et des résultats agrégés pour le reste de l’entreprise, tout en assurant un taux de réponse minimum pour crédibiliser les résultats.
Schneider Electric réalise une mesure de la valeur de ses communautés de pratique par sondage depuis 2013, mesure que j’ai conçue. La question principale est « Je considère que ma communauté apporte une valeur tangible à mon business, mes clients ou à moi ». Le sondage est envoyé à 12000 personnes, avec un taux de participation de l’ordre de 25%. À partir des réponses, un score de valeur tangible est calculé, par communauté, ainsi qu’un score global. La communauté ayant suffisamment de votants et un score dépassant un seuil prédéfini reçoit le label « communauté active ». D’autres questions permettent à chacun de préciser le type de bénéfice, de suggérer des améliorations, et surtout de proposer une expérience personnelle ou un exemple.
Les résultats permettent de mesurer la valeur tangible de chaque communauté, telle que perçue par les membres. Mais ça ne suffit pas, d’où la nécessité de collecter des expériences et des exemples pour alimenter le troisième niveau de mesure, l’efficience.
3.3. Efficience
Le moyen efficace de convaincre son management que sa communauté apporte de la valeur tangible est de lui fournir une success-story avec des chiffres et des témoignages. La success-story doit illustrer comment la communauté a amené de la valeur tangible (par exemple réduire les coûts, gagner du temps, ou apporter plus de business), et comment cette valeur n’aurait pas pu exister sans la communauté.
Le problème consiste souvent à identifier les prémices qui vont mener à une success-story. Ce peut être par exemple une demande d’aide pour un problème client sur le forum de discussion de la communauté qualité, qui se termine, à la suite d’échanges entre experts situés dans différents sites éloignés, par une solution qui va réduire un coût de maintenance. L’animateur va alors interroger les protagonistes et rédiger l’histoire, en incluant le chiffrage des coûts évités et des verbatims. Grâce au sondage décrit ci-dessus, il est plus facile d’identifier ces histoires potentielles, car les membres peuvent directement les suggérer
4. Les bénéfices de cette mesure de la valeur
Un manager ne donnera du temps d’animation de Communauté de pratique (CoP) à un membre de son équipe (20 % est le minimum recommandé) que si la valeur perçue de la communauté est au minimum qualitative. Une success-story chiffrée permet de convaincre les managers les plus sceptiques. Le sponsor peut aider à convaincre le manager.
La mesure de la valeur par sondage a comme avantage secondaire de demander aux membres leur opinions et leurs souhaits concernant leur communauté. L’animateur en tient compte et propose un plan d’action.
La mesure de la valeur tangible globale et les success-stories de l’ensemble des communautés permet au responsable du programme de gestion des connaissances de montrer que le programme de communauté fonctionne. Ceci permet de pérenniser le programme de gestion des connaissances.
5. Pour en savoir plus
APQC Next-generation Communities of Practice: Schneider Electric SE Case Study