Une communauté, sans sponsor, c’est mort !

Louis-Pierre Guillaume, 10 mars 2019

1. Pourquoi des communautés ne marchent pas en entreprise

François, responsable des achats, avait pourtant bien commencé. Dès qu’il a vu l’annonce de l’ouverture dans son entreprise d’un réseau social interne, il a ouvert la Communauté Achats, suivi les instructions fournies par la DSI. Pensant bien faire, il a demandé à son assistante d’inviter tous les membres de son équipe élargie, soit une centaine de personnes dans le monde. Avec l’aide de la communication interne, il a publié son premier message incitant les membres de la communauté Achats à collaborer et à échanger leurs bonnes pratiques. Las, les seuls échanges ont été des documents postés par quelques membres et les annonces pour les audioconférences mensuelles de François. Déçu, François annonce à ses pairs dans le CoDir que les communautés, ça ne marche pas.

Éloïse est ingénieur qualité. Fan de LinkedIn et de Facebook, elle est membre de communautés liées à ses goûts et passions. Dès l’annonce de l’ouverture du réseau social de son entreprise, elle saute sur l’occasion et crée une Communauté Qualité. Elle en parle à ses collègues ingénieurs qualité comme elle, et en quelques semaines, une cinquantaine de personnes se sont inscrites. Des échanges ont lieu. Elle organise une webconférence qui attire une vingtaine de participants. La communauté bruisse d’échanges informels. Une des discussions traite d’un problème client dû à un défaut ; les membres échangent sur la meilleure façon de répondre au client et d’éviter que ceci n’arrive la prochaine fois. Mais le responsable des ventes a vent de la discussion et rejoint le forum de discussion. Il n’est pas content et poste un message sec indiquant que son équipe s’occupe des relations client et que la qualité doit s’occuper de ce qui la regarde. Éloïse reçoit de son côté un petit commentaire désagréable de son chef, contacté par le responsable des ventes, sur son temps passé sur cette communauté. Personne dans le management de l’entreprise ne vient à la défense de la communauté ; elle s’arrête brutalement.

2. Quelles leçons tirer de ces deux histoires.

  • Une communauté n’est ni un outil ni un forum de discussion.
  • On n’inclut pas de force les membres.
  • Une communauté n’est pas une équipe, il n’y a pas de relations hiérarchiques.
  • L’animation top-down ne marche pas, c’est de la communication.
  • Une communauté n’est pas un lieu où on règle ses comptes.
  • La confiance entre les membres est très facile à briser.
  • Une communauté sans sponsor pour la légitimer et la défendre meurt très vite.

3. Comment maximiser les chances de succès d’une communauté ? Six facteurs clés

  1. Assigner les 4 rôles principaux. Les 4 rôles indispensables dans une communauté sont l’animateur (facilite le transfert et la capitalisation du savoir des membres ; environ 20% de son temps), le sponsor (haut placé dans la hiérarchie, il la légitime devant ses pairs et la défend), le membre (participe aux événements, donne son savoir et en reçoit) et l’ambassadeur (un membre plus impliqué que d’autres qui aident l’animateur)
  2. Définir les objectifs et les bénéfices. Les objectifs business de la communauté sont définis avec les membres et le sponsor ; ils sont alignés avec les objectifs stratégiques de l’entreprise. La poursuite de ces objectifs permet de produire des bénéfices pour les membres, le business et les clients.
  3. Organiser les interactions entre les membres. Les interactions entre les membres facilitent les échanges de savoir, la production de savoir explicite, la création d’innovations, mais surtout permet à ceux-ci de se connaitre et de se faire confiance. En effet, la confiance est la base du fonctionnement d’une communauté.
  4. Donner du temps à l’animateur et aux membres. L’animateur a besoin de temps dédié pour animer sa communauté, de l’ordre de 20% de son temps. L’approbation du manager est donc indispensable. Ce temps est compensé par les bénéfices apportés par la communauté au business. Les membres ont besoin de 5% environ.
  5. Entretenir la synergie entre sa communauté et son travail. Plus il y a de synergie entre les domaines couverts par ma communauté et mon travail, plus mon implication dans ma communauté fait partie intégrante de mon travail. Une recherche récente a montré que l’engagement dans mon travail implique l’engagement dans ma communauté et que le lien entre les deux est la valeur que je tire de la communauté.
  6. Créer les conditions de la confiance. La communauté doit promouvoir le respect mutuel et l’entraide entre ses membres. C’est un environnement où les erreurs sont perçues comme des occasions d’apprentissage. Ces principes sont les conditions de base pour entretenir la confiance. La confiance est renforcée par la présence bienveillante du sponsor de la communauté.

4. Les bénéfices issus des communautés

Si ces six facteurs clé de succès avaient été suivis, la Communauté Achats aurait facilité la mise à jour d’un référentiel de fournisseurs et de documents types (conditions générales, etc.), l’échange d’informations sur les fournisseurs et le partage de trucs et astuces. Les acheteurs débutants auraient pu apprendre plus rapidement des acheteurs talentueux. Les cycles d’achat auraient été réduits. Des économies sur les achats auraient pu être dégagées.

De son côté, la Communauté Qualité aurait pu échanger des méthodes et des bonnes pratiques pour harmoniser les processus métiers. Des coûts liés à la non-qualité auraient pu être évités. Les qualiticiens les plus compétents ne seraient pas tentés de changer d’entreprise. Des clients auraient pu être plus heureux et donc auraient pu commander plus.

Dans une entreprise étendue, ces bénéfices ne peuvent pas être réalisés efficacement en l’absence de communauté.

Des communautés sans sponsor, et plus généralement, sans une culture d’entreprise bienveillante où l’initiative est encouragée et récompensée, « c’est mort ».

5. Pour en savoir plus

Bonus: enregistrement audio de la présentation ci-dessus (26 min):